Apprentissages

Et les apprentissages?

“ Mais comment mon enfant va-t-il pouvoir apprendre s’il est libre de faire ce qu’il veut de ses journées ? ”

C’est souvent une des premières questions que tout parent se pose lorsqu’il envisage de scolariser son enfant dans une école qui prône les apprentissages auto-dirigés.

Pour y répondre, il me semble important de passer en premier lieu par quelques questionnements.

 

Quel est le but de l’éducation?

Le but premier de l’éducation est de permettre à l’enfant de devenir un adulte, qui peut fonctionner seul et en société. Il doit pour cela:

  • Être autonome : se nourrir, se loger, se sentir à peu près bien dans sa peau…
  • Avoir des relations avec les autres satisfaisantes (couple, famille, amis, voisins, relations professionnelles…)
  • Pouvoir fonctionner dans la société actuelle (vivre la démocratie, savoir naviguer dans l’administration, savoir déclarer ses impôts…)

(à chacun de compléter la liste!)

Comment évaluons-nous l’efficacité de la méthode d’éducation prédominante dans notre société ? Actuellement, elle est évaluée principalement par le classement PISA et le taux de réussite au bac.

Quels que soient les critères qu’on utilise pour qualifier la réussite, je me pose la question si de bons résultats à ces évaluations sont prédictifs de la réussite de la vie adulte. En effet, l’évaluation des matières académiques enseignées à l’école se fait de façon externe, via un contrôle écrit ou oral. Ses résultats reflètent-ils les capacités d’un enfant ou d’un adolescent à devenir un adulte, à fonctionner de manière autonome, avec les autres et dans la société ?

Le moyen – l’éducation – est souvent confondu avec le but – devenir un adulte qui peut fonctionner seul et en société. Le moyen est devenu une finalité en soi. Nous avons oublié le but premier de l’éducation, celui de devenir un adulte et non pas de réussir les évaluations de l’école.

De ce fait, la remise en question de notre système d’éducation ne peut pas réellement se faire : le bac et les études PISA – les méthodes d’évaluation – comparent les établissements sur la base de résultats à des contrôles écrits et/ou oraux, sans lien avec l’objectif premier de l’éducation : la qualité de vie de l’adulte.

 

Sans école traditionnelle, pas d’apprentissages?

Deux questions se posent:

  • Les apprentissages nécessaires pour une vie d’adulte épanouie se limitent-ils aux matières académiques enseignées à l’école conventionnelle ?  ( les maths, le français, la géographie, etc.)

 

  • Est-ce que la seule manière d’apprendre est de recevoir un enseignement ?

 

Afin de répondre à ces questions, je reprends ici les schémas de Marcia Conner sur les apprentissages informels. Le premier schéma classe les moyens d’apprendre en 4 catégories. Ainsi l’apprentissage peut survenir de manière :

 

apprentissages
  • formelle et intentionnelle : cours magistraux, cours en ligne, conférences
  • informelle et intentionnelle : lecture, coaching, tutorat
  • formelle et inattendue : auto-apprentissage, réseaux sociaux, internet
  • informelle et inattendue : vie en commun, exploration, jeu

 

Le deuxième schéma indique la fréquence de chaque catégorie d’apprentissage.

 

apprentissages

Vous pouvez remarquer que l’enseignement tel qu’il est majoritairement pratiqué dans les écoles conventionnelles ( les cours ) représente une part minoritaire parmi toutes les manières d’apprendre.

La fréquence la plus élevée se retrouve dans la catégorie des apprentissages informels et inattendus.

 

De fait, chaque expérience de vie est source d’apprentissages : discuter, se faire des amis, naviguer dans sa relation de couple, gérer les tensions qui peuvent apparaître au travail, jardiner, faire les menus travaux de son logement, choisir les aliments en faisant ses courses, chercher un garagiste pour l’entretien du véhicule…

Comme le disait Thierry Pardo lors d’une de ses conférences : ” Je vous mets au défi de vous asseoir sur un banc pendant 2 heures et de ne rien apprendre.”

Finalement, comment apprend l’enfant à l’École Sudbury Lilloise?

Dans cette école qui fonctionne selon le modèle de la Sudbury Valley School, l’enfant est avant tout responsable de sa propre éducation. Et son éducation va passer principalement par les expériences quotidiennes de sa vie. Le jeu, l’exploration et les interactions avec les autres en sont des composantes essentielles.

Les apprentissages ont lieu à travers :

– La motivation intrinsèque : les apprentissages sont réels et intégrés s’ils sont motivés par un intérêt sincère et profond de l’apprenant. La curiosité et l’enthousiasme en sont les ingrédients clés. Les apprentissages faits sans intérêt sincère sont oubliés dès que l’obligation de savoir ce contenu est levée. Combien d’entre nous ont oublié ce qu’ils avaient appris une fois l’examen passé ?

– Les erreurs : elles font partie du processus normal d’apprentissage (et de la vie en général!). Les adultes présents dans l’école laissent les enfants se tromper et n’interviendront pas pour corriger (sauf s’il y a un réel danger évidemment), encore moins pour juger ou punir. L’enfant a le droit de faire des erreurs. Il va également vivre les conséquences de ses erreurs, grâce auxquelles il apprendra. Un bel exemple concernant la manière de ranger des pailles dont je parle souvent se trouve dans cet article du blog de l’Ecole Dynamique.

– L’environnement : l’environnement d’une école conçue selon le modèle Sudbury peut être résumé ainsi (je me suis largement inspirée de Peter Gray dans son livre Libre pour apprendre, p143)  :

 

Sudbury Valley School

 

Un temps illimité pour pouvoir jouer et explorer : chaque enfant peut prendre le temps de trouver ce qui l’intéresse et de se connaître lui-même. Chacun peut poursuivre ses passions et ainsi développer ses domaines d’excellence.

 

sudbury

 

* Le mélange des âges : les personnes présentes dans l’école interagissent librement, selon les affinités et les centres d’intérêts. L’éventail des compétences et des centres d’intérêt accessibles est ainsi infiniment plus vaste que les interactions limitées à un même âge.

 

sudbury conversation

 

* La conversation (le libre échange d’idées) : la conversation est un moyen de formuler ses pensées, de réfléchir, de débattre, de construire et affiner un modèle de compréhension du monde. En confrontant son opinion à celle des autres membres de l’école, chacun peut développer et affiner sa pensée logique, son argumentation et sa réflexion, quel que soit son âge.

 

sudbury
* l’accès à des adultes disponibles : les adultes répondent aux demandes des enfants. Ils leur fournissent du soutien si les enfants en expriment le besoin. Ils respectent leur choix. Le monde des enfants et celui des adultes n’étant pas séparé, les jeunes peuvent observer les adultes, les écouter, participer à leurs conversations et se joindre à leurs activités.

* l’accès à du matériel : l’accès au matériel permet aux enfants de se l’approprier en l’utilisant librement. Le matériel évolue en fonction des intérêts des jeunes, à leur demande.

 

* l’absence de harcèlement scolaire : pour pouvoir se sentir libre, une personne doit se sentir en sécurité. La violence et/ou le harcèlement sont traités via la comission de justice pour permettre à chacun de se sentir en sécurité.

 

Conseil d'Ecole à la Sudbury Valley School

 

* l’immersion dans les processus démocratiques : les processus démocratiques permettent à chacun de débattre, confronter des arguments, de pouvoir être en désaccord tout en respectant les opinions de l’autre.

Et en pratique, qu’est-ce que ça donne ?

C’est bien beau tout ça, mais est-ce que mon enfant apprendra à lire si personne ne lui enseigne ? Et les mathématiques ?

A la Sudbury Valley School, tous les étudiants acquièrent la lecture, sans enseignement d’aucune sorte. (Un mère témoigne de l’apprentissage de la lecture de ses 3 enfants à la Sudbury Valley School dans une traduction sur ce blog). L’âge d’acquisition de la lecture peut varier de 4 à 13 ans. Ils apprennent à lire car le contenu du document écrit les intéresse ( comme par exemple pour jouer à leur jeu vidéo préféré, ou lire un livre précis ). Ici c’est le contenu à lire qui motive – le but – et non pas la méthode d’apprentissage de la lecture – le moyen. Quand on observe, à l’adolescence, la façon de lire de ces étudiants, il est impossible de faire la différence entre les personnes qui ont appris à lire à 4 ou à 12 ans.

Concernant les mathématiques, ou plutôt l’arithmétique, la plupart l’apprennent à travers les situations de la vie quotidienne (partager des bonbons, gérer son argent de poche, gérer la fortune ou les points de vie de son personnage dans un jeu vidéo…). Parmi les jeunes, une minorité souhaite recevoir des cours, en général aux environ de 10 ans. Ceux-ci peuvent alors parcourir alors le programme de 6 années de cours (le primaire) en l’espace de 20 h d’enseignement environ.

 

Et alors, comment une scolarité dans cette école permet une vie d’adulte satisfaisante ?

Cette question mérite un article à part entière ! En attendant, voici un extrait de Libre pour Apprendre de Peter Gray (p136) :

“(…) aucun des diplômés (de la Sudbury Valley School) ne se plaignait de difficultés à s’adapter au cadre formel que représente l’université ou un emploi. Ceux que nous avons pu questionner à ce sujet au cours des entretiens ont expliqué à l’unisson que le choix de poursuivre leurs études ou d’exercer un métier particulier était le leur, qu’ils aimaient ce qu’ils faisaient et qu’ils étaient tout à fait en mesure d’accepter les règles que ces engagements impliquaient. Des individus qui avaient été en rébellion à l’égard du travail scolaire imposé lorsqu’ils n’avaient pas leur mot à dire, c’est à dire avant d’entrer à Sudbury Valley, acceptaient les contraintes de l’université et d’un emploi parce que cela procédait de leur choix. Ils soulignaient également qu’ils avaient ressenti davantage de liberté pendant chaque jour et chaque minute passés à l’université ou à exercer un métier qu’ils n’en avaient connue dans les écoles conventionnelles qu’ils avaient fréquentées.”

(Vous pouvez aussi consulter le témoignage d’une ancienne élève de la Sudbury Valley School)

 

Ainsi, à travers ces différents éléments, ce modèle d’école crée un environnement au service des dispositions naturelles de l’enfant, qui, par sa curiosité, sa ténacité et son enthousiasme, va poursuivre son évolution vers sa vie d’adulte et s’intégrer à la société telle qu’elle est aujourd’hui.

Sources :

  • A paradigm shift in education, conférence de Daniel Greenberg
  • What me worry ?, conférence de Daniel Greenberg
  • Free at last, Daniel Greenberg, Sudbury Valley School Press
  • Libre pour apprendre, Peter Gray, Éditions Actes Sud
  • Introduction to informal learning, Marcia Conner
  • Toutes les photos sont issues du site de la Sudbury Valley School

4 réflexions au sujet de “Et les apprentissages?”

  1. Bonjour, je voudrais rebondir sur un passage de votre article , parlant du traitement en conseil de justice des problèmes de violences/harcèlement : qu’en est-il quand la majorité des enfants renoncent à porter plainte contre un des enfants car son comportement violent/harcelant est quotidien, et que les enfants jugent que c’est une perte de temps, car rien ne s’arrange?

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    1. Bonjour Isabelle,
      Si les enfants ne souhaitent pas porter plainte, les membres du personnel peuvent et doivent le faire. Tous les membres de l’école sont co-responsables du climat de liberté et de respect qui est un des premiers piliers de l’approche Sudbury.
      Si les comportements violents/harcelants se répètent malgré des sanctions appropriées (et évidemment en parallèle des discussions avec le personnes en question en dehors du CJ), c’est le conseil d’école ( et donc les enfants, adolescents et le personnel de l’école) qui est amené à trancher.
      Pour que la grande liberté dont bénéficient les enfants soit bénéfique, elle doit avoir lieu dans une ambiance où les personnes se sentent en sécurité. L’absence de peur est fondamentale dans ce modèle éducatif.

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      1. bonjour et merci pour votre réponse, c’est bien ce qui me parait juste. Du coup , que faire quand les adultes n’assistent pas à ces moments d’ambiance dégradée, de violences (coups de poing répétés, gros gros mots…) et que les enfants qui subissent ça ne veulent plus porter plainte car trop répétitif ?

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      2. Bonjour, on peut porter plainte pour un fait même si on n’y a pas assisté. Si un adulte n’a pas assisté à des violence, mais qu’il en entend parler, il porte plainte.

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